L’introduction précoce des aliments allergènes permet-elle d’éviter l’allergie alimentaire ?

Kirsten Beyer, experte dans le domaine de l’allergie chez les enfants relance le débat sur l’intérêt de l’introduction précoce des allergènes chez le nourrisson.


L’allergie alimentaire semble augmenter dans de nombreux pays même si d’importantes disparités sont notées selon les pays. Depuis plusieurs années, des stratégies de prévention des allergies sont mises en place et la question de l’efficacité de l’introduction précoce des aliments allergènes est encore très débattue. Certains chercheurs estiment que les essais cliniques randomisés actuellement disponibles fournissent suffisamment de preuves sur l’utilité de l’introduction précoce des allergènes dans l’alimentation du nourrisson. D’autres craignent que la mise en application de cette pratique n’ait pas les mêmes effets que dans les essais et redoutent leurs conséquences nutritionnelles sur le long terme ainsi que leur impact dans les pays ou la prévalence des allergies alimentaires est encore faible. Dans l’éditorial du Pediatric Allergy and Immunology du mois de Mai, Kirsten Beyer reprend les arguments des « pro » et des « anti » et réagit aux nouvelles recommandations européennes sur la diversification alimentaire chez le jeune enfant, publiées par l’ESPGHAN (J Pediatr Gastroenterol 2017). Celles-ci intègrent désormais une mention sur l’introduction des aliments allergènes entre 4 et 11 mois pour prévenir les risques d’allergie.

Une stratégie justifiée dans certains pays seulement

Kirsten Beyer rappelle que tous les chercheurs s’accordent sur le fait :

  1. qu’il existe une sensibilisation aux allergènes alimentaires via la voie cutanée lorsque celle-ci est altérée et exposée à un environnement riche en allergènes alimentaires ;
  2. que cette sensibilisation pourrait être prévenue par l’induction d’une tolérance via une introduction orale précoce de l’allergène.

Cependant, la mise en pratique de cette introduction précoce (à partir de 4 mois), divise les chercheurs. Au Royaume-Uni comme en Australie, ou l’arachide est fréquemment consommée, les allergènes d’arachide sont déjà très présents dans la maison et donc à l’origine d’une sensibilisation cutanée chez les enfants à risque (eczéma, dermatite atopique…). L’intérêt préventif d’une introduction orale précoce d’arachide est alors justifié. 


Au contraire, dans un pays comme la Grèce ou l’arachide est très peu consommée par la population et ou l’allergie à l’arachide est peu fréquente, l’introduction précoce d’arachide dans l’alimentation des enfants pourrait favoriser le développement de cette allergie. 
C’est pourquoi les experts américains alertent, dans leurs nouvelles recommandations américaines de prévention de l’allergie à l’arachide, sur le fait que cette stratégie d’introduction précoce des aliments allergènes doit être mise en place selon le contexte et les habitudes du pays considéré (Togias A. J All Clin Immunol 2017). Une précaution trop peu reprise dans les textes, selon l’éditorialiste.

  
Concernant les autres allergènes alimentaires, la grande majorité des études sur l’allergie à l’œuf ne montre pas de bénéfice à son introduction précoce. Au contraire, l’introduction précoce de poudre d’œufs pasteurisés s’avère très dangereuse car les nourrissons sont bien souvent dès 4 mois déjà sensibilisés et allergiques. 

Pour K. Beyer, « le développement de l’allergie alimentaire est si complexe qu’avant de modifier les recommandations européennes, il est nécessaire de réfléchir avec prudence et de prendre en compte les spécificités régionales et culturelles des pays ». Quant aux données encourageantes observées pour un allergène alimentaire (cas de l’arachide), elles ne peuvent pas être extrapolées aux autres allergènes.

Beyer K. Early introduction of food reduces food allergy – Does it? Pediatr Allergy Immunol 2017: 28: 212–213.  http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/pai.12713/abstract